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Licenciement

Interdiction de dénigrer publiquement son employeur par des propos diffamatoires

Prêter à l’employeur des propos humiliants et blessants à l’égard d’un salarié dans le but de donner une mauvaise image de la direction et de créer un malaise avec les membres du personnel caractérise à la fois un abus de la liberté d’expression et un manquement à l’obligation de loyauté.

« Tu es le plus mauvais peintre qu’ils ont pu avoir »

Une salariée, secrétaire au sein d’un garage, avait affirmé à l’un de ses collègues que, selon les dirigeants de la société, il était « le plus mauvais peintre qu’ils avaient pu avoir ». L’intéressée avait tenu ces propos en dehors du travail, mais en présence de deux de ses amis, donc « publiquement ».

Ces allégations étaient parvenues aux oreilles des dirigeants, qui avaient contesté avoir tenu de tels propos. Ils avaient en conséquence mis à pied la salariée à titre conservatoire pour ensuite la licencier pour faute grave.

Les juges du fond avaient écarté la faute grave, mais estimé qu’il y avait cause réelle et sérieuse de licenciement. Ils avaient donc condamné la société à payer les salaires correspondant à la mise à pied conservatoire, tout en confirmant la rupture du contrat de travail.

Soutenant que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, la salariée s’était alors pourvue en cassation en invoquant, d’une part, la violation de sa liberté d’expression et, d’autre part, le non-respect de sa vie personnelle. Mais la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel sur ces deux points.

Abus de la liberté d’expression

Le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Dans cette affaire, la secrétaire estimait n’avoir fait qu’user de cette liberté.

Néanmoins, le salarié ne doit pas abuser de la liberté d’expression, notamment en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs (cass. soc. 7 octobre 1997, n° 93-41747, BC Vn° 303).

Or, les propos tenus par la salariée revêtaient ici un caractère diffamatoire. En effet, l’intéressée avait rapporté à un collègue, en présence de deux amis, des propos blessants et humiliants qu’auraient tenus les employeurs à son égard. Mais les dirigeants contestaient avoir tenu de tels propos et la salariée elle-même « ne soutenait pas qu'ils l'avaient réellement fait ». Par cette affirmation publique et a priori mensongère, la salariée avait donc surtout cherché à dénigrer les employeurs.

Pour la Cour de cassation, c’est donc à juste titre que la cour d’appel a conclu à des propos diffamatoires, constitutifs d’un abus de la liberté d’expression.

Pas d’atteinte à la vie personnelle

En principe, l’employeur ne peut pas sanctionner un salarié pour des faits relevant de sa vie personnelle (cass. soc. 16 décembre 1997, n° 95-41326, BC V n° 441 ; cass. soc. 23 juin 2009, n° 07-45256, BC V n° 160). Dans cette affaire, les propos litigieux ayant été tenus en dehors du travail, la salariée soutenait qu’il y avait atteinte à sa vie personnelle et que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Elle n’obtient pas gain de cause, car il existe deux exceptions à ce principe. L’employeur peut justifier une sanction par des faits tirés de la vie personnelle lorsque :

-les faits en question causent un trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise (cass. soc. 21 novembre 2000, n° 98-41788, BC V n° 383 ; cass. soc. 1er février 2017, n° 15-22302 D) ;

-ces faits se rattachent à la vie professionnelle, en ce qu’ils constituent un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail (cass. soc. 3 mai 2011, n° 09-67464, BC V n° 105).

Or, pour la cour d’appel, on se situait justement dans la deuxième catégorie d’exception, les propos tenus par la salariée caractérisant une violation de l’obligation contractuelle de loyautéٞ, dans la mesure où, même s’ils avaient été tenus en dehors du temps et du lieu du travail, « ils avaient été adressés à un autre salarié de l'entreprise afin de donner une mauvaise image de ses dirigeants et créer un malaise entre ces derniers et les membres du personnel. »

La Cour de cassation approuve ce raisonnement et estime que la cour d’appel a pu en déduire que le comportement de la salariée constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Cass. soc. 15 juin 2022, n° 21-10572 D ; https://www.courdecassation.fr/decision/62a97882a0285a05e58b8e30